Dans ce pays qu’on appelle « le Continent », une question peut être une réponse, un repas une fête et un thème musical une philosophie. Bienvenue au Cameroun, une version originale, sans sous-titres, mais avec une infinité de nuances_
Ce touriste venant d’un pays occidental a été briefé sur le Cameroun. Là-bas, lui a-t-on dit, « on répond à une question par une autre ». À l’aéroport, il avise un fonctionnaire de police, s’approche de lui et engage la conversation : « Il m’a été dit qu’au Cameroun si vous posez une question, on vous répond par une question. » Et le fonctionnaire de police : « Qui vous a dit ça ? » Et tout est parti d’un grand éclat de rire. C’est ainsi les Camerounais, sérieux et graves quand il le faut, fiers et dédaigneux à la fois. Quand il entre en Côte d’Ivoire brandissant fièrement son passeport, il gonfle comme le tapioca lorsque le préposé à la Police des Frontières ivoirienne le reconnaît et l’interpelle par « le Continent ! » D’ailleurs, d’où est venue cette appellation de « Continent » pour désigner le Cameroun ? Difficile de savoir avec exactitude, mais c’est un terme à la mode que les Camerounais utilisent pour appeler fièrement leur pays. Il y a aussi le Mboa, le 237, l’Afrique en miniature. C’est certainement de cette dernière appellation que dérive le Continent. Géographie contrastée, climat aussi, aires culturelles variées.
Forêts arrosées de pluie et d’humidité au Sud, au Centre, à l’Est… Plateaux élevés à l’Ouest et au Nord-Ouest, culminant dans l’Adamaoua, château d’eau du Cameroun. Plages noires de Limbe, blondes de Kribi, mangroves du Littoral…Kribi qui s’industrialise avec son impressionnant Port et se dore au soleil tropical, différent du soleil sahélien des régions du Nord et de l’Extrême-Nord dans l’aire socio-culturelle soudano-sahélienne, chez les Leré de Yagoua ou encore les Mbum de l’Adamaoua, où il n’est pas rare qu’un fier Pongpong de Yokadouma dans l’aire socio-culturelle Beti-Bulu-Fang, prenne femme ou alors qu’un Bangang de la région de l’Ouest dans l’aire socio-culturelle des Grassfields le fasse. Tous s’étant rencontrés à Douala, dans l’aire socio-culturelle Sawa, dans un chantier où ils ont dégusté du ndolé crevettes accompagné de vin cueilli à Bafia, le numpé, la soirée a continué ce jour-là dans un bar traditionnel _mendzang_, où ils se sont trémoussés librement aux rythmes des balafons, développant des rythmes bikutsi et bol.
Cette soirée s’est terminée ce jour-là dans une boîte de nuit sur des makossa enlevés de Ben Decca du Littoral, Nono Flavie de la région de l’Ouest, Marthe Zambo de Tchangue dans le Sud, le bol de Seba Georges d’Amvam dans le Sud ou du soul gandjal de Ali Baba du Nord, figures musicales aux sonorités enracinées et universelles. On a donc observé un fier sahélien évoluer sur un pas chaloupé à la Tchana Pierre lorsque le DJ a lancé « Je vais à Yaoundé » de Tala André Marie.
À Yaoundé, où réside Paul Biya, le Sphinx, Président de la République, gardien du temps républicain depuis quatre décennies, où les attitudes sont convenues, il n’est pas non plus rare – au contraire – de trouver Eyizo’o de Nyazo’o dans le Sud, ou Noukimi Akim de l’Ouest Conseiller Municipal à Ebolowa , Maliki de Yagoua dans l’Extrême-Nord, Agbor de Mamfe dans le Sud-Ouest, Ndogmo de Dschang à l’Ouest où Joseph Engolo Mba’ale du Sud est Conseiller Municipal, fraternisant autour d’un plat d’okok, de wata life, de taro sauce jaune et de sanga arrosé d’une eau-de-vie là… rehaussé d’écorce locale dont la consommation exagérée est susceptible de vous faire prendre un jour de travail comme un jour férié. Des fériés comme ceux imposés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, hélas, par des personnes sans foi ni loi dont les revendications initiales semblent loin aujourd’hui.
Et pourtant, avec l’audace de l’espoir, les Camerounais poursuivent leur chemin. Ce sont les enfants de la résilience, les héritiers d’un rêve jamais éteint, les supporters indéfectibles des Lions Indomptables, totems nationaux et champions d’Afrique, qui font vibrer chaque quartier au son du vuvuzela. Et ça tourne. Comme un vieux 45 tours de makossa, comme un taxi jaune sur les pavés de Yaoundé, comme le Cameroun lui-même – inclassable, indéchiffrable, irrésistible.
Face à l’Atlantique, le 20 mai 2025
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