Il ne doit pas faire bon, en ce moment, être dirigeant, ni même personnel, de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (Cdec). La maison venait pourtant, il y a encore peu, de prendre son décollage lorsque son élan a été stoppé net.
Le 11 juillet, la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) a décidé de la suspension temporaire à la structure des opérations de transfert des avoirs en déshérence. Le gendarme des établissements financiers entendait ainsi clarifier la nature, mais également définir les modalités de conservation, de gestion, voire de restitution de ces avoirs avant toute action de transfert. Il a affirmé avoir «engagé des travaux visant à encadrer, au plan communautaire, le traitement par les établissements de crédit, de microfinance et de paiement, des avoirs en déshérence et de leur transfert aux institutions habilitées». Pour le régulateur, ce cadre règlementaire permettra de préserver la stabilité financière au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), de maîtriser les risques opérationnels liés à la conservation et la gestion de ces valeurs, ainsi que les risques de contentieux entre les institutions nationales, les institutions financières et les titulaires de ces avoirs ou leurs ayants droit.
Tout à côté, on a vu la Cobac moins rigoureuse et peu diligente avec la Caisse des dépôts et consignations du Gabon, qui existe pourtant depuis des années. Avec le Cameroun, elle a, pointant alors sa propre incurie, décidé de bloquer le fonctionnement d’un organe pour attendre qu’elle-même s’actualise. Drôle de mise à jour. Comble de législation rétroactive.
La conséquence directe de cette directive aura été, de la part de plusieurs établissements financiers locaux pourtant bienveillantes, la suspension de leurs opérations de transferts vers la Cdec. Piqué au vif, et avant de s’engager dans cette voie de régularisation, le directeur général de l’organe national, Richard Evina Obam, avait exprimé son désaccord avec cette suspension. Il a insisté sur la souveraineté des États membres de la Cemac en matière législative et réglementaire. Il a souligné que chaque État membre était libre d’appliquer ses propres lois, en l’absence d’un cadre réglementaire communautaire lisible.
Mesures appropriées
«En vertu du principe de subsidiarité et en cas de compétence concurrente, les États membres ont une compétence par défaut sur tous les domaines non réglementés par le droit communautaire, ce qui est le cas du service public des dépôts et consignations, avait alors expliqué le patron de la Cdec. La construction communautaire est faite par les États et non par la défense des intérêts corporatifs. Maintenant, si une réglementation communautaire doit être mise en place pour encadrer certaines activités des caisses des dépôts et consignations, cela ne doit pas être de manière unilatérale ou en privilégiant certaines parties, mais en associant les États membres et même les caisses des dépôts et consignations.»
Les autorités camerounaises, insistait alors M. Evina Obam, ont pris les mesures appropriées pour garantir la stabilité du secteur bancaire. Déjà, le décret du Premier ministre, daté du 1er décembre 2023 et fixant les modalités de transfert des fonds, a permis aux établissements de crédit et de microfinance d’obtenir des modalités particulières en cas de fragilité financière ou de risques d’exposition au non-respect de certains ratios. Les modalités en question prennent en compte les défis opérationnels des transferts, tout en permettant aux banques d’ouvrir un compte Cdec dans leurs livres. «Les fonds transférés ne génèrent aucun mouvement de trésorerie défavorable pour la banque. Un échéancier de transfert des fonds et/ou valeurs spécifiques aux établissements de crédit ou de microfinance exposés à des engagements financiers est prévu parmi lesdites modalités», ajoutait-il. Et d’appeler la Cobac à se positionner comme un catalyseur du changement, plutôt que comme un frein. D’accompagner les États dans le déploiement d’outils de financement de l’économie.
Le DG de la Cdec est conforté, dans sa position contre l’ingérence de la Cobac dans l’activité nationale des dépôts et consignations, par une lettre du secrétaire général à la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée le29 juillet au ministre des Finances. Invitant, au nom du président Paul Biya, l’organisme à poursuivre de manière effective, diligente et sereine, le processus de transfert des fonds entamé, le Sg/Pr souligne l’absence manifeste de fondement juridique des actes de la Cobac, qui violent la procédure prévue pour la prise de décision, mais aussi le champ de compétences de cette institution.
Ce qui n’a pas été suffisamment relevé, dans ce triste épisode c’est que la Commission communautaire, dans son engagement visant à paralyser la Cdec, a largement été encouragée par un fort vent de connivences antipatriotiques. Un mouvement souvent nourri par certains officiels camerounais, ayant encouragé plusieurs organismes financiers à s’inscrire dans l’incivisme actif.
Echanges techniques
Et c’est ici qu’il convient de questionner, au premier chef, le rôle joué dans cette polémique par le ministre des Finances par rapport à la mission à lui confiée, par le chef de l’Etat à travers le décret du 15 avril 2011. «Le ministre chargé des Finances dispose d’un délai de six mois à compter de la mise en place des organes dirigeants pour assurer le démarrage effectif de la Cdec, notamment le transfert total des fonds à elle dévolus», peut-on lire à l’article 55 dudit texte présidentiel, qui porte organisation et fonctionnement de la Caisse.
En effet, créée en avril 2008 aux fins de recevoir, conserver et agréer des avoirs, qu’ils soient publics ou privés, la Cdec a attendu jusqu’en janvier 2023 pour connaître ses premiers dirigeants sociaux et sa mise en service. Concrètement, cette institution mille fois réclamée par des spécialistes a en charge la gestion et la sécurisation des ressources endogènes, stables et diversifiées ainsi que leur transformation, pour financer des projets à forte valeur ajoutée.
Aussitôt installé, le top-management engagera des échanges techniques avec l’Association professionnelle des établissements de crédit du pays (Apeccam) et bien d’autres organismes corporatistes, en vue de parachever la réflexion sur les garde-fous à mettre en place afin d’éviter que le processus de transfert des fonds et valeurs en déshérence des banques, vers la nouvelle structure, connaisse des hoquets. Mais plusieurs, parmi ceux censés accompagner sa mise en orbite apparaissent également aujourd’hui comme les premiers fossoyeurs de la Cdec.
Conséquence, en dépit du moratoire fixé jusqu’au 31 mai 2024 par décret du Premier ministre, pour transférer les fonds à la Cdec, beaucoup, encouragés en sous-main par des dirigeants des Finances, ont continué à traîner les pieds.
Et pendant que certains adhéraient au processus, beaucoup d’autres, souvent parmi les majors du secteur, étaient encouragés à ne pas suivre le mouvement. Dans cette liste, se retrouvent les banques, sociétés d’assurances et autres établissements de microfinance (EMF) de premier plan. A la présidence de la République, apprend-on encore, des rapports circonstanciés et fortement documentés, sont sur la table pour dénoncer ceux ayant favorisé et nourri la paralysie de la Cdec.