C’est une annonce qui ne manque pas de faire des vagues. Le Directeur général de la Cameroon Water Utilities Corporation (CAMWATER), Dr Blaise Moussa, a promis rien de moins qu’une « révolution aquatique nationale » : 200 000 nouveaux branchements d’eau potable à travers tous les centres du Cameroun, et ce en seulement douze mois. De quoi séduire une opinion publique souvent lassée des pénuries chroniques et des promesses non tenues. Mais ce pari, aussi audacieux soit-il, pose plusieurs questions sur sa faisabilité, son financement et sa réelle portée.
Un objectif sans précédent
Selon le communiqué officiel, chaque nouveau compteur sera installé avec une rigueur digne « d’un horloger suisse », et l’eau devrait arriver « dans les meilleurs délais ». Au-delà de la formule, l’ambition est claire : élargir l’accès à l’eau potable à plusieurs centaines de milliers de ménages. Pour mémoire, CAMWATER, entreprise publique née en 2005 de la réorganisation du secteur, dessert aujourd’hui environ 2,3 millions de Camerounais. Avec 200 000 branchements supplémentaires, ce sont potentiellement près d’un million de personnes de plus qui pourraient bénéficier du service.
Une gageure technique et financière
L’expérience récente incite toutefois à la prudence. Car poser un compteur n’est que la partie visible de l’iceberg. Encore faut-il garantir la continuité du service. Or, les infrastructures de production et de distribution, vieillissantes, peinent déjà à suivre la demande croissante dans les grandes métropoles comme Douala ou Yaoundé.
Sur le plan financier, l’opération est loin d’être anodine. Le coût moyen d’un branchement oscillant entre 100 000 et 120 000 FCFA, l’enveloppe globale dépasserait facilement les 20 milliards de FCFA. Une somme que CAMWATER, malgré les subventions de l’État, ne peut mobiliser seule. Des partenariats avec la Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) ou la Banque européenne d’investissement (BEI) apparaissent incontournables pour soutenir un tel programme.
Mais l’histoire récente de CAMWATER est jalonnée de projets ambitieux restés inachevés. La réforme de la gestion après le départ de l’opérateur privé Camerounaise des Eaux, en 2018, n’a pas encore produit tous les effets escomptés.
Perspectives et vigilance
Si elle se concrétise, cette initiative pourrait changer la donne. En améliorant l’accès à l’eau potable, le Cameroun se rapprocherait des Objectifs de développement durable (ODD), notamment l’ODD 6 consacré à l’eau et à l’assainissement. Elle réduirait aussi les inégalités territoriales, souvent criantes entre les grandes villes et les zones rurales ou périurbaines.
Toutefois, les observateurs restent prudents. Le défi n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif : garantir que l’eau coule effectivement dans les robinets, de manière continue et à un prix abordable. Sans quoi les nouveaux compteurs risquent de rester de simples symboles accrochés aux murs des foyers.
En somme, Blaise Moussa joue gros : soit il réussit son pari et entre dans l’histoire comme l’homme de la modernisation de l’hydraulique urbaine au Cameroun, soit il échoue et son « révolution aquatique » ne sera qu’un mirage de plus
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