Alors que certains découvrent soudainement les effets du temps sur le pouvoir, d’autres, plus attentifs, choisissent de regarder au-delà des apparences. Dans ce propos face à l’Atlantique nourri d’observations directes et de bon sens politique, interrogeons le procès en vieillesse fait au Président Paul Biya faisons une lecture plus mesurée du temps et de la fonction._
Il est des moments dans l’histoire d’un peuple où la lucidité doit primer sur les emballements, où l’élégance du regard critique ne doit pas sombrer dans la facilité des caricatures. Une voix, naguère intransigeante dans sa défense du régime, se découvre soudainement une conscience critique, découvrant avec étonnement les marques du temps sur un homme, comme si le temps ne passait pas pour tous. À 93 ans, dit-on. Et alors ? Le temps a beau faire courir les aiguilles, il ne dit pas tout. Ce n’est ni la canne, ni la cadence du pas qui mesurent la clairvoyance d’un chef. Ce n’est pas l’éclat du front ni la souplesse de l’articulation qui garantissent la justesse d’une vision. Gouverner, ce n’est pas danser sur la scène. Gouverner, c’est tenir le gouvernail, droit, ferme, dans la tempête comme dans le calme.
Que nous dit cet avocat rigoureux, observateur aguerri, peu enclin à la complaisance après sa poignée de main au Président ? Que loin de l’œil torve et de la main flasque qu’on lui avait prédit, il a trouvé un Président au regard vif, à la poigne ferme. Que la scène qu’il avait imaginée en grisaille s’est révélée pleine de présence, d’autorité tranquille, de lucidité intacte. Cela ne vaut-il pas autant qu’un procès à charge sans témoin ni nuance ? Il est facile de moquer les supposés commentaires de nos confrères du 20 mai : « Il s’est levé ! » « Il a marché seul ! »… Mais ces mots ne sont pas le reflet d’un folklore. Ils sont aussi l’écho d’une attente collective, parfois excessive certes, mais profondément enracinée dans notre rapport à la figure du chef. Dans bien des cultures, l’apparition du leader n’est jamais anodine ; elle est scrutée, attendue, commentée. C’est moins un bulletin de santé qu’un thermomètre symbolique.
Et puis, il y a cette idée insistante selon laquelle le Cameroun serait captif d’un homme. Mais ce serait oublier que l’histoire ne s’écrit pas à un seul stylo. Paul Biya n’est pas un verrou : il est une institution vivante. Il n’est pas un décor qu’on brandit : il est un acteur que l’on voit, que l’on entend, qui signe, arbitre, décide. On peut critiquer les choix, débattre des orientations, proposer mieux – et c’est sain. Mais on ne peut escamoter l’évidence : malgré les années, l’homme reste debout dans sa fonction. Il n’a pas fui, il n’a pas cédé, il n’a pas abdiqué. Il assume. Et tant que les institutions n’en décident autrement, cela mérite un minimum de respect – voire d’admiration tranquille.
La retraite, oui. Mais digne. Et la dignité ne se décide pas dans un post sur les réseaux, ni à l’ombre d’un ressentiment nouveau. Elle se prépare, se pense, se construit. Le Cameroun ne gagnera rien à précipiter les pages de son roman national sous l’effet de l’émotion ou de l’impatience. Le peuple mérite la vérité, mais aussi la mesure. Il mérite le renouvellement, mais pas la rupture hasardeuse. Il mérite une relève, oui, mais une relève enracinée, préparée, non arrachée à coups de slogans ou de soupirs. Alors oui, à 93 ans, Paul Biya a salué. Il s’est tenu debout. Il a marché. Il a serré les mains vigoureusement. Et s’il fallait une image pour conclure, ce serait celle-là : celle d’un Président que l’on croyait diminué et qui, dans un simple geste, rappelle qu’il est encore là.
Pas comme une statue, pas comme un mythe, mais comme un chef, comme un symbole. Comme Le Sphinx.
Face à l’Atlantique, le 23 mai 2025
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