L’Union européenne (UE) s’apprête à dénoncer l’accord de partenariat volontaire (APV), entré en vigueur le 1er décembre 2011 avec le Cameroun, a-t-on appris de source autorisée. Cette décision, prisse le 2 septembre à Bruxelles, doit être notifiée à Yaoundé au plus tard le 30 novembre 2024, afin que ledit contrat, d’une durée de 7 ans et assorti d’une Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux (Flegt), ne soit pas renouvelé par tacite reconduction le 11 décembre 2025.
Il s’agit en réalité du prologue d’un différend latent, survenu lors du lancement, par le ministère des Forets et de la Faune (Minfof), le 1er avril 2021, du Système informatique de gestion des informations forestières de 2ème génération (Sigif2). Le même jour, l’UE et son associé dans le dossier, la Coopération allemande (KfW et GIZ), avaient publié une déclaration conjointe dans laquelle ils reconnaissent, certes, que cet instrument «aurait dû être une étape cruciale de la mise en œuvre» de l’APV-Flegt, mais s’empressaient de noter des «divergences importantes».
Ces partenaires affirmaient alors avoir exprimé leurs différends tout au long du processus de développement et d’évaluation du Sigif2, retenu «de manière unilatérale par les services du Minfof, et pourtant développé sur des financements européens tout en offrant leur appui matériel, financier et technique». Et ils indiquent avoir fait des propositions visant à faire disparaître ces discordances.
Finalement, constatent-ils, la version du Sigif2, livrée en novembre 2018, n’avait pas été réceptionnée par la commission ad hoc du fait de sa non-conformité au cahier de charges. Depuis lors, les certificats émis par le Sigif2 n’ont pas été reconnus, ni validés, dans le cadre du règlement bois de l’UE (Rbue), encore moins pour des autorisations Flegt permettant de réaliser des économies ainsi qu’un accès direct et prioritaire au marché européen. Ces documents ne sont donc plus émis, sous réserve de la mise en place d’un autre instrument, ou alors d’une refonte intégrale de l’outil, l’UE exigeant une l’étude benchmark conduite avec le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat).
Selon des indiscrétions, l’UE aurait en tête une autre forme d’accord plus global sur la gestion durable des forêts, tel qu’elle l’a imposé à la République démocratique du Congo (RDC). Au-delà de son caractère bilatéral et des humeurs ayant émaillé le processus depuis ses débuts, l’APV-Flegt a été perçu avant tout comme un outil de renforcement de la gouvernance interne, avec à la clé la mise sur pied du marché intérieur du bois et l’adhésion de l’ensemble des opérateurs économiques, globalement satisfaits de la dématérialisation des procédures. Ils mesurent actuellement, mieux que quiconque, les gains énormes inhérents à traçabilité électronique dont les vertus ne pourraient jamais se fondre dans l’absence d’un audit indépendant, comme il est allégué dans la note de dénonciation.
Intérêts souverains
A la vérité, l’UE n’a jamais accepté l’avènement du Sigif2 dont la première version, indiquait-on alors, recelait beaucoup de pratiques dolosives. Elle a proposé un autre système, que Yaoundé n’a pas accepté. D’où la colère du partenaire, que beaucoup d’acteurs du domaine, au Cameroun, accusent de vouloir imposer son diktat au Cameroun. Les mêmes ne manquent pas, dans ce brouillard contractuel, de saluer le patriotisme et la loyauté du patron du Minfof, Jules Doret Ndongo, qui pour eux a agi essentiellement pour la préservation des intérêts de son pays. Il convient, au passage de mentionner que, si l’UE résilie les accords avec le Cameroun, il les renouvelle en Côte d’Ivoire, où les mêmes pratiques sont dénoncées par le pouvoir local.
C’est dire si la position de l’UE requiert, plus que jamais, des synergies gouvernementales fortes au regard de sa prétention désormais actée à vouloir traiter des questions forestières avec un regard holistique. D’ailleurs, la thématique du cacao sans déforestation, principe du Pacte Vert UE, est déjà en traitement dans les départements de l’Agriculture et du D2veloppement rural (Minader) et du Commerce (Mincommerce).
«Il convient également de ne pas oublier que l’UE voit, d’un très mauvais œil, la conclusion de partenariats avec d’autres espaces à l’instar de l’Asie orientale (Bangladesh, Chine et Vietnam), devenus de gros clients du bois camerounais», analyse un fin connaisseur du domaine, qui invite Yaoundé à se «ne pas accepter les multiples tentatives de soumissions de l’Occident à sa volonté d’hégémonie».
Le Minfof a ainsi refusé les méthodes tordues de l’UE, qui veut imposer à Yaoundé un nouveau Sigif clé en main. Et, s’il a été instruit par la très haute hiérarchie de l’Etat pour la signature de l’Apv-Flegt, il a, de nouveau, adressé des rapports circonstanciés et fortement documentés au chef de l’Etat, de qui devront revenir les ultimes arbitrages.
Le Sigif2, faut-il le rappeler, constitue une grande opération de dématérialisation des procédures de gestion forestière. Et le quotidien des équipes chargées de l’animation de cette plateforme a été modifié, depuis son lancement. Ces personnels doivent en effet être disposés à intervenir en ligne à toute heure.
Dématérialisation intégrale
En plus de l’acquisition de nouveaux équipements, le saut technologique a nécessité l’augmentation de la capacité du réseau, toute chose réussie au niveau de la Cameroon Telecommunications (Camtel), l’opérateur national de téléphonie. En mai 2022, le pool technique chargé du suivi de la mise en œuvre du Système informatique de gestion de l’infirmation forestière avait déjà enregistré 617 structures dans le système, créé 1556 comptes utilisateurs à travers l’administration et les opérateurs. Dans le même temps, 180 demandes de certificats de matérialisation des limites avaient été soumises par les opérateurs dans le système et 123 approuvées par les délégations régionales, alors que 114 demandes de certificat de conformité des travaux d’inventaire étaient soumises par les opérateurs et 106 approuvées par les délégations régionales, 100 plans annuel d’opération (PAO)/certificat annuel d’exploitation (CAE) signés et 67 en instance de signature, 33.839 lettres de voitures générées par les opérateurs, 575.318,180m3 de bois enregistrés dans le système, etc.
«Les longues files d’attente, pour les lettres de voiture, sont derrière nous. C’est un énorme gain de temps. Nous sommes fiers de cette évolution. C’est désormais le système qui génère ces documents», se réjouissait alors un opérateur économique. En une année, le Minfof avait réussi l’exploit de lever l’épineux problème de pénurie de documents sécurisés pour le transport des produits bois. Un phénomène qui, des années durant, fut le ventre mou de l’exploitation forestière et avait altéré l’image de tout un secteur. Et c’est une révolution en douceur qui s’est ainsi opérée, au grand bénéfice de tous.
Avec cette dématérialisation intégrale, les opérateurs ont largement gagné en temps dans la réalisation des opérations administratives et l’impression en ligne des lettres de voiture, authentifiables grâce au code barre leur assurant une circulation rapide des produits, dans les différents sites de destination que sont les unités de transformation, les parcs de rupture et les ports du pays.
Au quotidien, le Minfof travaille avec les opérateurs du sous-secteur forêt pour le perfectionnement de ce puissant outil, à travers la prise en compte régulière de leurs observations et des ajustements permanents. Un système de veille a été mis en place pour aider certains à prendre le train de la modernité.
«Ce processus, comme tout autre, exige de la patience. Mais il est irréversible parce qu’il n’est que la déclinaison sectorielle de la dématérialisation des procédures au sein de l’administration camerounaise», avait un jour expliqué le patron du Minfof, Jules Doret Ndongo.
Globalement, les principaux acteurs du secteur semblent porter un regard unanime vers la même direction, avec la détermination affichée d’aller de l’avant. Le credo est simple : donner une chance au Sigif2, qui est avant tout un outil de promotion de la gouvernance sectorielle. Un tournant décisif qui sonne le glas des interminables querelles de méthodologie ayant émaillé son déploiement depuis 2010, année de sa première tentative de matérialisation.