Au Cameroun, l’économie informelle n’est pas une simple survivance, mais une force vitale. Selon l’Institut National de la Statistique (INS, 2023), ce secteur représente 38 % du PIB officiel, soit près de 10 000 milliards de FCFA (16,3 milliards de dollars) annuels, et englobe 89,4 % des emplois, selon la Banque Mondiale (2023). Dans les villes comme Douala ou Yaoundé, 72 % des actifs urbains survivent grâce à des microactivités non déclarées, allant du petit commerce (45 % des emplois informels) à l’artisanat (22 %) en passant par les services de transport anarchique (15 %), d’après une étude du PNUD (2022). Cette économie parallèle génère paradoxalement 25 % des recettes fiscales indirectes de l’État, via les taxes sur les produits de grande consommation. En 2022, la TVA prélevée sur les biens écoulés dans les marchés informels a rapporté 750 milliards de FCFA (1,2 milliard de dollars), selon le ministère des Finances. Pourtant, le manque à gagner fiscal direct reste colossal : 700 milliards de FCFA annuels échappent aux caisses publiques, soit l’équivalent de 40 % du budget de l’éducation (1 750 milliards de FCFA en 2023). Un gouffre qui explique en partie les sous-investissements chroniques dans les services sociaux. Le pays consacre seulement 5,1 % de son PIB à la santé (contre 15 % recommandés par l’OMS) et 12,3 % à l’éducation, loin des 20 % préconisés par l’UNESCO.
Le secteur informel domine aussi des filières clés : 60 % de la production agricole (vivriers, cacao, café) transite par des circuits non structurés, selon le ministère de l’Agriculture (2023), tandis que l’exploitation minière artisanale, bien qu’illégale à 80 %, fournit 30 % de l’or et 50 % des diamants écoulés localement (rapport EITI, 2022). Ces activités, souvent précaires, emploient 1,2 million de personnes, dont 35 % de femmes et 28 % d’enfants de moins de 15 ans dans les mines, selon l’UNICEF. Malgré ces défis, l’État tente une intégration timide. Le Registre National des Finances (RNF), lancé en 2020, a permis de formaliser 182 000 microentreprises en trois ans, générant 58 milliards de FCFA de taxes supplémentaires. Un succès relatif, car cela ne représente que 6 % du tissu informel, estimé à 3 millions d’unités économiques par l’INS. Les réformes peinent aussi à juguler l’évasion commerciale : 45 % des échanges transfrontaliers avec le Nigeria et le Tchad échappent aux douanes, soit 400 milliards de FCFA par an (CNCC, 2023). Dans l’ombre, cette économie reste un filet social pour 8,5 millions de Camerounais sous le seuil de pauvreté (2,15 dollars/jour, Banque Mondiale, 2023). Elle assure 85 % des revenus des ménages ruraux et 63 % des urbains, selon la CNPS. Pour les femmes, souvent exclues du crédit bancaire (seulement 12 % ont un compte en banque), le commerce informel est une bouée : elles contrôlent 68 % des étals de marché et 55 % de la transformation agroalimentaire. Mais le prix est lourd : absence de protection sociale (92 % des travailleurs informels ne cotisent à aucune caisse), insécurité juridique, et concurrence déloyale pour les entreprises formelles, qui ne représentent que 7,2 % du PIB. Pourtant, selon la Chambre de Commerce, 35 % des PME formelles dépendent de fournisseurs informels, illustrant une interdépendance incontournable.
L’équation camerounaise reste complexe : comment capter les 1 500 milliards de FCFA circulant hors des banques (BEAC, 2023) sans étouffer un secteur qui fait vivre des millions de personnes ? Les pistes existent : la digitalisation des impôts a permis de collecter 120 milliards de FCFA en 2022 via des paiements mobiles, et les coopératives agricoles structurées ont augmenté leurs revenus de 40 % tout en payant des taxes. Mais avec 60 % de la population ayant moins de 25 ans et 300 000 jeunes arrivant chaque année sur un marché du travail saturé, le temps presse. L’informel camerounais, à la fois problème et solution, reste le miroir d’une économie en quête d’équilibre.