Le déclassement du Cameroun au profit du Gabon dans les échanges commerciaux intra-CEMAC n’est pas qu’un simple réajustement statistique. Il illustre un repositionnement stratégique des puissances économiques sous-régionales. Si le Gabon tire profit d’une politique industrielle cohérente, le Cameroun, lui, paie les limites d’un modèle économique resté trop agricole et peu transformateur.
Depuis une décennie, le Cameroun revendique son statut de « poumon économique » de la CEMAC. Mais cette position s’érode face à la montée silencieuse de Libreville. En devenant le premier fournisseur du Cameroun, le Gabon expose les fragilités de l’appareil productif camerounais, notamment son dépendance aux importations manufacturières (matériaux transformés, huile, bois, engrais, etc.).
Plusieurs leçons se dégagent :
Manque de transformation locale : Le Cameroun continue d’exporter essentiellement des matières premières agricoles non transformées (banane, cacao, tomate, maïs), alors que le Gabon exporte désormais du bois scié, des produits agro-industriels et bientôt des vivres transformés.
Déséquilibre commercial croissant : Un solde commercial déficitaire de plus de 32 milliards de FCFA en faveur du Gabon alourdit la pression sur la balance des paiements camerounaise.
Risques pour la souveraineté alimentaire : L’entrée du Gabon sur le segment des produits vivriers menace la position du Cameroun sur des marchés régionaux qu’il dominait jusque-là, notamment au Gabon même, au Congo et en Guinée équatoriale.
Retard en matière d’infrastructures régionales : Alors que le Gabon investit dans des corridors logistiques et marchés transfrontaliers modernes (Bitam, Eboro), le Cameroun peine à moderniser ses postes-frontières (notamment Kyé-Ossi, Ambam, Garoua-Boulaï).
Pour le Cameroun, cette dynamique doit servir d’électrochoc stratégique : relancer une politique industrielle orientée vers la transformation, accélérer l’intégration logistique régionale, et revoir les priorités d’investissement public dans les corridors commerciaux. Il en va de son statut dans la CEMAC, mais aussi de la résilience de son économie nationale.
Encadré – Chiffres clés des échanges Gabon-Cameroun (2019–2023)
Exportations du Gabon vers le Cameroun :
214 400 tonnes de marchandises sur 5 ans
143,9 milliards FCFA de valeur cumulée
Année 2022 seule :
Exportations gabonaises vers le Cameroun : 58 milliards FCFA
Importations camerounaises vers le Gabon : 25,2 milliards FCFA
Solde commercial en faveur du Gabon : +32,8 milliards FCFA
Filières dominantes du Gabon :
Huile de palme (production en hausse de 90 % entre 2020 et 2024)
Bois transformé (69 % valorisé localement – 60 % des exportations)
Objectif alimentaire du Gabon :
Réduction de 50 % des importations vivrières d’ici fin 2025
Cibles de substitution : tomates, oignons, manioc
Investissements logistiques en cours :
1,5 milliard FCFA dans les marchés transfrontaliers de Bitam et Eboro
Intégrés au Plan National de Développement de la Transition (PNDT)
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