La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) tire la sonnette d’alarme. En seulement deux mois, les réserves de change de la zone CEMAC ont fondu de près de 1 000 milliards de francs CFA, passant de plus de 7 600 milliards à 6 667,68 milliards FCFA au 16 septembre 2025. Une contraction brutale qui rappelle les heures sombres de la crise de 2016, et qui met à nu les fragilités structurelles d’un système monétaire encore trop dépendant de la discipline — souvent relative — de ses acteurs.
Certes, la BEAC se veut rassurante : le niveau des réserves resterait « soutenable ». Mais à quel prix, et pour combien de temps ? Car derrière les chiffres bruts se cachent des dysfonctionnements profonds : défaillances dans le rapatriement des devises, non-respect des règles de rétrocession par les banques commerciales et les sociétés de transfert, relâchement dans l’application des réglementations de change… Autant de brèches qui minent la crédibilité de l’Union monétaire et compromettent sa résilience face aux chocs extérieurs.
La situation actuelle met en lumière une vérité dérangeante : la stabilité monétaire de la CEMAC repose encore trop sur la bonne volonté d’acteurs économiques peu incités à jouer le jeu collectif. Entre intérêts privés et arbitrages politiques nationaux, la régulation régionale peine à s’imposer, et la BEAC semble à court de leviers.
Alors que les économies de la sous-région sont déjà confrontées à une conjoncture mondiale tendue — baisse des cours des matières premières, ralentissement de la demande chinoise, instabilités internes — cette chute des réserves sonne comme un signal d’alerte. Un de plus. Mais combien en faudra-t-il pour que la gouvernance monétaire soit enfin prise au sérieux ?
Analyse sectorielle : qui siphonne les réserves de la BEAC ?
Banques commerciales : entre opacité et arbitrage financier
Premiers visés par la BEAC, les établissements bancaires jouent un rôle central dans l’assèchement progressif des réserves. Officiellement tenues de rapatrier et rétrocéder une partie des devises issues des transactions internationales (notamment les exportations), nombre d’entre elles préfèrent conserver ces devises dans leurs comptes offshores ou les transférer vers des filiales étrangères, souvent situées en zone euro ou à Dubaï. En cause : la recherche de marges de manœuvre financières, la spéculation sur les taux de change, mais aussi l’absence de sanctions dissuasives de la part de la BEAC.
Sociétés de transfert d’argent : les oubliées de la régulation
Longtemps sous le radar de la régulation, les sociétés de transfert d’argent (type Western Union, MoneyGram, etc.) jouent un rôle croissant dans la fuite de devises. Chaque mois, plusieurs centaines de milliards FCFA transitent via ces circuits parallèles. Or, le taux de rétrocession de ces flux vers la BEAC est notoirement faible. La réglementation les concerne, mais son application reste floue et peu contrôlée. Résultat : un circuit monétaire parallèle, hors radar, grignote les réserves.
Secteur pétrolier et extractif : la fuite invisible
Dans plusieurs pays de la CEMAC — Congo, Guinée équatoriale, Tchad — les recettes d’exportation de pétrole et de minerais ne transitent que partiellement par les comptes domiciliés à la BEAC. Certaines multinationales négocient des dérogations ou utilisent des montages juridiques pour réduire au minimum leur contribution au stock régional de devises. À cela s’ajoute la faiblesse des audits sur les contrats pétroliers, et l’opacité des régimes fiscaux extractifs.
Commerce extérieur et importations massives
Avec une structure économique fortement dépendante des importations, la CEMAC consomme des devises à un rythme soutenu. Or, peu de pays disposent d’un appareil productif suffisamment intégré pour contenir la demande extérieure. Le déséquilibre chronique de la balance commerciale, combiné à des transferts illicites (sous-facturation, surfacturation), accélère la fuite de capitaux.
Une mécanique de fuite bien huilée
Au final, la chute brutale des réserves de change ne relève pas d’un simple accident conjoncturel. Elle est le symptôme d’une mécanique bien installée, où chaque acteur – banques, entreprises, États – agit dans une logique de court terme, sans considération pour l’équilibre régional. La faiblesse de la régulation, le manque de transparence dans les flux, et l’absence de volonté politique ferme au niveau communautaire entretiennent cette dynamique de fuite.
Quelles issues face à la spirale ?
Face à cette dynamique dangereuse, la BEAC doit sortir de sa posture attentiste. Première urgence : renforcer les contrôles et les sanctions à l’encontre des banques et sociétés de transfert qui ne respectent pas les règles de rétrocession. Ensuite, imposer la traçabilité systématique des flux de devises, via des plateformes numériques interconnectées avec les douanes, les banques et les trésors publics.
Les États membres doivent aussi cesser de tolérer les exemptions arbitraires accordées aux multinationales extractives, et renégocier des accords plus favorables à la balance extérieure. Enfin, une relance coordonnée de la production locale permettrait de freiner l’hémorragie des devises liées aux importations massives.
À défaut de mesures courageuses et intégrées, la zone CEMAC risque de se retrouver dans une impasse monétaire. Et cette fois, ni la France ni le FMI ne viendront éternellement éponger la facture
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