L’élection de Sidi Ould TAH à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) consacre, à première vue, un retour de l’Afrique aux commandes de son principal instrument de financement.
Avec 76,18 % des voix au troisième tour, le Mauritanien, ancien patron de la BADEA, s’impose face à ses concurrents Samuel MAIMBO (Zambie) et Amadou HOTT (Sénégal). Une victoire écrasante, bâtie sur une coalition africaine inédite et soutenue par une majorité des actionnaires non-régionaux.
Mais derrière cette apparente unanimité se cache une réalité plus complexe. Car si le « A » de la BAD reste résolument africain, ses leviers financiers, eux, demeurent largement sous influence extérieure.
Une élection éclair mais stratégique
Le processus électoral, mené à Abidjan, s’est déroulé en un temps record. Dès le second tour, Ould TAH avait pris l’ascendant, grâce à une dynamique construite autour d’une volonté partagée de renforcer la voix africaine dans la gouvernance de la banque. L’échec de Samuel MAIMBO, pourtant favori des actionnaires non régionaux au premier tour, illustre un rééquilibrage subtil. Mais cette victoire de façade ne garantit pas une réorientation profonde de la BAD.
L’institution, fondée en 1964, est aujourd’hui composée de 54 membres régionaux et 27 non régionaux. Ces derniers – États-Unis, France, Japon, Chine, Canada, Allemagne, etc. – détiennent près de 40 % des droits de vote et exercent une influence déterminante sur les politiques de financement.
Une banque aux mains liées ?
Au fil des ans, la BAD s’est imposée comme une plateforme technique incontournable, mais elle peine à devenir un moteur politique de l’intégration africaine. Ses financements sont souvent co-conditionnés par les agences bilatérales et multilatérales – Banque mondiale, FMI, AFD, USAID, JICA, BEI, KfW, FIDA ou BID – qui imposent leurs grilles de lecture. En conséquence, la BAD agit plus comme un co-financeur suiveur que comme un architecte de rupture.
Ce fonctionnement freine sa capacité à impulser de véritables politiques de souveraineté économique : industrialisation, autonomie agricole, réforme budgétaire. Les logiques de rentabilité, de notation financière et de discipline macroéconomique priment sur les besoins structurels du continent.
Une opportunité politique à saisir
Pour Sidi Ould TAH, la légitimité du vote africain est un atout. Elle peut lui permettre d’ouvrir un nouveau chapitre. Mais cela suppose une remise en cause du mode opératoire actuel : redonner du poids aux États africains dans la définition des priorités, revoir les instruments de financement, sortir d’un mimétisme technocratique pour affirmer un leadership politique clair.
Le président sortant, Akinwumi Adesina, aura marqué la décennie écoulée par sa communication et quelques chantiers structurants. Mais il aura aussi symbolisé les limites d’un système verrouillé. Le défi pour Ould TAH sera d’incarner une BAD au service de l’ambition africaine, et non une banque technicienne parmi d’autres.
Sans un aggiornamento institutionnel, la BAD continuera d’être une institution africaine dans l’intitulé, mais occidentale dans les mécanismes. L’Afrique mérite mieux qu’un théâtre de souveraineté sous assistance. À Sidi Ould TAH de transformer le symbole en substance
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