Dans les couloirs capitonnés du Palais d’Etoudi, là où le silence en dit souvent plus long que les discours, des pas feutrés résonnent depuis quelques jours avec une intensité nouvelle. Un ballet discret mais soigneusement orchestré de personnalités de haut rang s’y déroule : membres du Gouvernement, Sénateurs chevronnés, Députés influents, figures tutélaires régionales… Tous répondent à l’appel du Ministre d’État, Secrétaire Général de la Présidence de la République, figure pivot de l’appareil d’État, désormais maître de cérémonie d’un huis clos aux allures de moment charnière.
Le peuple, de son côté, retient son souffle. Les observateurs affûtent leurs antennes. Les salons bruissent. Les taxis débattent. Les réseaux s’enflamment. Une interrogation serpente les esprits : que mijote la République dans sa marmite institutionnelle ? Que préparent les artisans du pouvoir dans les coulisses feutrées d’Etoudi, alors que la grande horloge de la nation approche d’échéances capitales ?
Trois hypothèses émergent des limbes de la rumeur, chacune aussi lourde de conséquences que l’autre :
Le Gouvernement d’union nationale ?
Certains y voient le signe d’un sursaut patriotique, d’un surcroît de lucidité politique face aux défis nombreux du moment : inflation rampante, crise sécuritaire persistante, réformes attendues, tensions sociales çà et là… En élargissant la base de l’exécutif, en y intégrant des forces autrefois périphériques ou critiques, le régime enverrait un message d’ouverture, d’écoute, d’unité dans la diversité. Une sorte de “Pacte Républicain” en actes, face aux vents contraires. Une manœuvre habile, s’il en est, dans un contexte où la légitimité se construit aussi sur le consensus.
La réforme constitutionnelle ?
Ici, les esprits les plus pénétrants perçoivent la perspective d’un toilettage juridique d’envergure. Peut-être pour adapter les institutions aux réalités du moment. Peut-être pour redessiner l’architecture du pouvoir. Peut-être, enfin, pour reconfigurer le tempo électoral, le rôle du Vice-président, la durée du mandat… ou toute autre disposition de nature à “sécuriser” la transition à venir. En démocratie, rien n’est tabou, pourvu que la forme épouse la volonté populaire et que le fond respecte l’intérêt supérieur de la nation.
Le report de la présidentielle ?
Hypothèse plus grave, plus lourde, plus controversée. Mais pas invraisemblable pour autant, dans un contexte sous-régional marqué par les transitions prolongées, les incertitudes géopolitiques et les poussées centrifuges. Reporter ne serait pas forcément reculer ; cela pourrait aussi signifier « reconstruire avant de remettre en jeu ». Mais la légitimité d’une telle décision ne saurait être assumée que dans un cadre de concertation nationale, avec les partis politiques, les forces vives et, idéalement, un référendum populaire. L’histoire juge, mais le peuple tranche.
Au-delà de ces hypothèses, un fait demeure incontestable : quelque chose se trame. Et ce quelque chose est sérieux.
Dans la grande tradition camerounaise du « temps long », où les annonces succèdent rarement aux rumeurs, mais toujours à une préparation millimétrée, l’instant que nous vivons ressemble à ces nuits profondes qui précèdent les aubes décisives. Rien n’est dit, mais tout est signifié. Rien n’est clair, mais tout est en gestation.
Le Président de la République, discret mais omniprésent, reste le centre de gravité du système. À 91 ans, sa silhouette vénérable, presque tutélaire, continue d’imprimer le tempo national. Et c’est dans ce clair-obscur qu’il faut lire les consultations en cours : non comme une simple réorganisation, mais comme un possible prélude à un grand récit.
Une page est peut-être en train de s’écrire. Et comme souvent au Cameroun, elle s’écrira à voix basse, mais s’imposera avec fracas.
À suivre, donc, mais avec toute l’attention que mérite un frisson d’Histoire
Views: 3